Valeria Bruni Tedeschi réalise, de son propre aveu, des "autobiographies imaginaires". Son cinéma emprunte à sa biographie, on y voit sa mère vieillir, ses amours se défaire, un enfant arriver, on reconnait des comédiens amis de longue date, époque école des Amandiers de Nanterre, avec le patron Chéreau. On voit que la psychanalyse est passée par là, que l’ombre de Tchékhov plane sur chaque scénario, ou encore que l’église est le lieu où l’on confesse sa culpabilité d’être née riche. De film en film, la cinéaste creuse ces thèmes sans se répéter, ni jamais nous lasser.
Formée sur les bancs de l’École des Amandiers de Nanterre auprès de Pierre Romans et de Patrice Chéreau, qui lui offre son premier grand rôle au cinéma dans le film Hôtel de France en 1987, Valeria Bruni Tedeschi a tourné entre autres pour Cédric Klapisch, Bertrand Blier, Claude Chabrol, François Ozon ou encore Noémie Lvovsky. Il faut attendre l’année 2002 pour que l’actrice passe à son tourderrière la caméra et réalise Il est plus facile pour un chameau, qui lui vaut le prix Louis-Delluc du premier film. Depuis, elle a signé quatre opus, parmi lesquels Les Amandiers, le dernier en date, pour lequel elle s’est inspirée de son passage par la mythique école de théâtre.
À l'occasion de la sortie du filmIl n’y a pas d’ombre dans le désertdeYossi Aviram dont elle est la comédienne principale et la co-scénariste, la cinéaste faisait escale à notre micro le 27 février 2024 pour revenir,le temps d'un grand entretien, sur ses techniques de jeu et sa vision du cinéma.
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Les mots comme oxygène
Petite, Valeria Bruni Tedeschi joue du piano, et elle en joue bien, il faut dire qu'elle appartient à une famille de musiciens, son père est compositeur lorsqu'il ne travaille pas, sa mère pianiste, concertiste. Pourtant, un jour, elle arrête sans bien savoir pourquoi, nait ensuite l'envie d'être comédienne, grâce à la littérature.
"J'ai besoin de la littérature, j'ai besoin de la parole écrite, j'ai besoin de m'oxygéner l'angoisse grâce à la parole écrite. Mais j'ai commencé par étudier, l'étude était synonyme d'une grande solitude pour moi. Du coup, je me suis retrouvée dans des cours de théâtre pour à la fois être au contact avec la parole écrite et au contact des autres parce que j'avais l'impression qu'il me manquait les rencontres. Et pour moi, le théâtre et le cinéma, c'est les textes et les rencontres humaines."
Parmi les figures littéraires qui l'accompagnent, on trouve Natalia Ginzburg, dont le réalisateur Mimmo Calopresti lui avait offert le livre Les petites vertus.
"Sa façon de parler, là aussi, c'est ce qu'elle dit, mais c'est son rythme, le rythme avec lequel elle choisit les mots, et la modestie de son écriture, son humilité dans sa manière d'essayer de chercher à dire une vérité, et sa profondeur, son humanité. C'est quelqu'un qui me fait l'effet d'une mère dans la littérature. Elle me console. Elle me fait un effet... C'est presque chimique, c'est pas très rationnel."
Faire des films, une parade à la nostalgie
Dans chacun de ses films, Valeria Bruni Tedeschi livre un morceau de sa mémoire, comme si le travail d'écriture, de fictionalisation, puis la réalisation, lui permettaient d'extraire la nostalgie de ses souvenirs, et de s'en détacher.
"C'est jamais un devoir de faire un film. Après, c'est la mémoire, les souvenirs, le besoin d'aller dans ses souvenirs, ça oui. J'ai besoin d'aller dans mes souvenirs d'enfance, d'adolescence, de jeunesse. (...) En travaillant la note d'intention avec Noémie Lvovski, elle avait dit cette chose, elle avait dit grâce au travail, grâce à la fiction, grâce à l'élaboration, grâce ensuite aux rencontres avec les acteurs qui vont jouer les personnages, là, il n'y a plus de nostalgie. C'est-à-dire que le travail, pour moi, est un antidote à la nostalgie. C'est vrai que je suis très envahie de nostalgie. (...) Même quand j'étais petite, je me souviens, au mois de septembre, j'avais la nostalgie du mois d'août. Donc, je peux avoir la nostalgie d'hier. Mais, voilà, le travail, c'est comme une piqûre, un antidote à ce sentiment qui est beau, mais qui est un petit peu mortifère. Alors que le travail, c'est vivifiant."
Réaliser, devenir adulte
Lorsqu'elle évoque sa rencontre avec Noémie Lvovski, dans un café pour un projet de fin d'étude à la Fémis, Valeria Bruni Tedeschi dévoile les prémices de son passage à l'écriture et à la réalisation, véritable transition vers l'âge adulte dans son parcours artistique.
"Et j'avais montré comme ça des choses à Noémie Lvovski, qui m'a encouragée, qui m'a proposée de travailler avec elle, qui m'a ensuite poussée à réaliser moi-même le film. C'est comme si elle m'avait donné une légitimité. En tout cas, elle m'a donné une bonne injonction. (...) Et cette porte s'est ouverte pour moi. Ça a été comme devenir adulte artistiquement. C'est-à-dire que mon travail d'actrice reste un travail d'enfant qui se fait regarder, se laisse regarder, même si je le fais de façon assez mûre, mais je reste dans une position enfantine. Alors qu'en tant que réalisatrice, je suis plus maternelle, paternelle, je suis parent."
À écouter : Dans la bibliothèque de Noémie Lvovsky
Le Book Club
59 min
En quête de batailles intérieures
Que ce soit dans son jeu ou les films qu'elle réalise, transparaissent toujours chez Valeria Bruni Tedeschi des émotions contradictoires qui semblent pouvoir coexister. Comme si ses personnagesne savaient pas ce qu’ils doivent penser, ce qu’ils doivent croire, au point de parfois rire et pleurer en même temps.
"Pour moi, la bataille intérieure est l'une des choses sur lesquelles je travaille le plus, la solitude et la bataille intérieure d'un personnage, d'une personne, de moi-même. La bataille intérieure, c'est deux forces contraires. Et les personnages qui ont des batailles intérieures sont des personnages très puissants et très intéressants, même s'ils sont discrets. Même une bataille intérieure silencieuse peut être très belle."
Sons diffusés pendant l'émission:
- Blanche Salant dans Les mercredis du Théâtre, France Culture, en octobre 2009
- Geneviève Brisac lit un extrait du livreLes petites vertus deNatalia Ginzburg dans "Natalia Ginzburg, femme de cœur", un documentaire de l'Atelier fiction paru sur France Culture en 2020
- Le choix musical de l'invitée: Let It Be des Beatles, paru en 1970 chez Apple Records
- Noémie Lvovsky dans Affaires culturelles, en mars 2023
- Marisa Borini, la mère de Valeria Bruni Tedeschi, dans l'émission Tout arrive!sur France Culture, en décembre 2007
- Patrice Chéreau à la sortie de sa lecture du texte Coma dePierre Guyotat à l'Odéon, au micro d'Arnaud Laporte sur France Culture, en avril 2009
À écouter : Patrice Chéreau, l'intranquille
Plus d'informations:
- Le film Il n'y a pas d'ombre dans le désertest disponible en DVD
Le Son du jour du 27/02/24 :“Concerto pour violon en ré mineur” deVivaldi, par Théotime Langlois de Swarte et Le Consort
Le violoniste Théotime Langlois de Swarte s'offre un plaisir d'enfant en enregistrant plusieurs œuvres pour concerto de Vivaldi dans un double album consacré au compositeur vénitien: Antonio Vivaldi, Concerti per una vita, publié par Harmonia Mundi.L’auteur des Quatre Saisons a en effet joué un rôle prépondérant dans la passion du jeune violoniste français pour le violon.Élu "Diapason d'Or de l'année 2022" Théotime Langlois de Swarte a enregistré cet album avec l'aide du Consort, un ensemble qu'il a fondé en 2015 avec Justin Taylor et qui a pour ambition d’interpréter de la musique baroque de chambre des 17e et 18e siècles sur instruments d'époque. C'est d'ailleurs sur un violon Jacob Stainer de 1665 qu’il joue, construisant par là un son coloré qui sied parfaitement à la musique de Vivaldi et que l'on peut entendre dans le concerto en ré mineur.
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